Que veut dire habiter un quartier dans une grande ville ? Est-ce que le logement est uniquement une affaire d’experts ? Comment peut-on se loger décemment en zone tendue quand on n’a pas d’argent, quand on est une mère isolée, quand on est un travailleur indépendant ? Peut-on valoriser d’autres imaginaires que ceux qui régissent le monde d’aujourd’hui ? les coopératives d’habitants sont-elles des projets en vase clos pour « bobo » ? Si on l’a fait , est-ce que d’autres peuvent le faire ?
Autant de questions que pose cette façon d’habiter un territoire, fondée sur le collectif, l’entraide et la réflexion commune sur le monde. Les coopératives d’habitant·es ressemblent aux « cabanes » de Marielle Macé(1) : « ce sont de nouvelles façons de se représenter l’espace, le temps, l’action, les liens, les pratiques… Faire des cabanes dans toutes sortes de territoires, pour réinstaller de la vie, braver les précarités…, pour occuper autrement le terrain : c’est-à-dire toujours, aujourd’hui, pour se mettre à plusieurs ». La coopérative d’habitants UTOP située dans le 20e arrondissement de Paris s’inscrit dans cette représentation. C’est d’abord une philosophie en actes avant d’être un savoir technique exclusif.
Alors comme pour réparer le monde abimé (et se réparer soi-même), le collectif UTOP et ses partenaires (la ville de Paris, un promoteur HLM, un bailleur social) ont imaginé un habitat social, économe, solidaire, écologique, démocratique et anti-spéculatif. Un « abri » pour être en relation avec soi et avec le monde, pour vivre, pour travailler, pour (s’)éduquer, pour se réapproprier des pans essentielles de nos vies.
(1) Nos cabanes, Éditions Verdier, 2019
EDITO TOUT CHAUD - SI ON L’A FAIT, C’EST QUE C’EST FAISABLE !
Utop, c’est un immeuble situé au 46 rue Sorbier. C’est aussi nous, des habitant.e.s, un opérateur HLM, un bailleur social, qui avons réussi à le faire sortir de terre. Avec vous, on a envie en 2025, de tordre le coup au glauque, d’essayer de dépasser la colère et les peurs pour fabriquer des aventures collectives joyeuses et transformatrices.
Et si, ensemble, on multipliait les rires de résistance? Et si on continuait à tisser des liens à l’échelle de notre incroyable quartier pour faire exister une multitude d’espaces anticapitalistes, acapitalistes, tout sauf capitalistes, tendres, ouverts, créatifs, ressourçants? On espère qu’Utop en sera un.
En ce début d’année, au-delà des souhaits, on a aussi envie de vous en dire encore un peu plus sur nous. On s’autorise – en espérant que cela intéressera certain.e.s – à partager quelques unes des convictions auxquelles nous nous sommes accrochées pendant les 11 ans de co-construction de ce projet.
On vous livre quelques uns des enseignements du chemin que nous avons parcouru pour enfin vivre à Utop :
1 – Un toit c’est un droit et il faut en finir avec la spéculation immobilière.
Utop, c’est avant tout une réflexion partagée sur l’habitat. Parmi nous, il y a des femmes et des hommes, des familles, avec des trajectoires résidentielles malheureusement tristement classiques (vous vous y reconnaîtrez peut-être). Pour la plupart d’entre nous, habitants-coopérateurs, la recherche de logement à Paris a été une galère sans nom. Cela donne :
Des célibataires contraints à payer une fortune ou à vivre en colocation.
Des familles composées de parents avec deux enfants vivant dans un studio/deux pièces ou contraints de quitter Paris pour aller vivre en banlieue.
Des artistes, intermittent.e.s ou non, pas crédibles pour les propriétaires enchaînant des sous-locations.
Des mères solos en galère à chaque fin de mois.
Une partie d’entre nous a aussi connu des situations terriblement précaires : expulsion, hôtel, hébergement d’urgence.
On a eu envie de prendre nos destins en main et d’imaginer avec d’autres (Coopimmo, Archi-ethic, Habitat et humanisme, la Ville de Paris) comment on pourrait habiter à Paris, dans des espaces adaptés à nos besoins et de façon plus solidaires.
2 – La propriété individuelle privée, une fin en soi ?
Il n’y a pas en France, de droit plus fort que la propriété. Lutter contre la spéculation impliquait donc inévitablement de mettre en question la propriété. On n’a pas eu de mal, on a réalisé qu’on n’y était pas attachés.
Avec Utop, nous sommes collectivement propriétaires du bâtiment et nous avons un droit d’usage des espaces en tant que coopérateur.trice. Nous sommes bien protégés par ce statut puisque nous sommes à la fois propriétaires collectivement et locataires individuellement. Aucun.e d’entre nous n’est endetté.e auprès d’une banque, nous pouvons transmettre nos parts sociales à nos enfants. Et ce que nous allons transmettre aussi et surtout c’est un projet politique, un ancrage affectif, une foi dans la puissance du collectif.
On se sent fort collectivement, bien plus que si on avait trimé pour contracter un crédit immobilier sur trente ans pour acheter une petite surface qui pourrait devenir une ruine au bout de trente ans.
3 – Le collectif protège des vulnérabilités individuelles.
Cette phrase de Cynthia Fleury est hyper puissante. Elle raconte un peu d’une histoire qu’on devrait apprendre à l’école : celle de la Sécurité sociale, celle de nos services publics…
Concernant le sujet du logement, penser l’habitat à l’échelle de l’appartement, du palier, de l’immeuble du quartier permet d’imaginer des espaces et des temps de solidarité, de mutualisation, d’entraide. Ensemble, la vie est plus douce et bien moins chère. Ensemble on est plus fort.e.s et riches les un.e.s grâce aux autres.
4 – Le capitalisme nous fait croire qu’il n’y a qu’une seule voie.
Nous ne sommes pas architectes, urbanistes ou expert.e.s en immobilier. Nous avons simplement des idées, des besoins aussi et des envies, des rêves qu’un appel à projets, il y a onze ans, nous a permis d’exprimer.
Les alliés du capitalisme nous expliquent sans cesse que nous ne pouvons pas comprendre, que les choses sont trop techniques et que le monde est ce qu’il est pour des raisons rationnelles et techniques ! Seuls les experts auraient voix au chapitre. « La facturation à l’acte dans les hôpitaux ? C’est une nécessité technique et rationnelle ! La spéculation immobilière ? Le fruit de la liberté de propriété.”
Nous n’y croyons pas. C’est faux, archi faux. Tout ça est politique, pas technique.
On a beau ne pas être « sachant.e» , on a une vision, on est expert.e de notre quotidien. Avec Utop, on a pris à bras le corps nos aspirations citoyennes et on a bossé comme des fous, avec nos partenaires, pour trouver les modalités concrètes qui permettent à nos aspirations de vivre, pour mettre en œuvre une certaine idée de la vie.
Ce qu’on a eu pour nous peut-être : de la ténacité et la confiance dans l’idée qu’on peut travailler d’autres scénarios que ceux qu’on nous imposent.
Ça valait le coup d’y croire et de se battre.
5 – Si on l’a fait, d’autres peuvent y arriver.
La reproductibilité du modèle Utop est au cœur de notre réflexion depuis le début de l’aventure. Au-delà de nos besoins personnels, on a tenu 11 ans parce que nous avons l’espoir de poser un petit caillou, de semer une petite graine. C’est l’aventure politique qui nous a fait tenir. C’est grisant d’essayer d’explorer des futurs plus désirables et d’essayer de faire bouger des lignes. C’est grisant de faire cela avec d’autres (Archi-ethic, Coopimmo, Habitat et humanisme et la Ville), de savoir qu’on n’est pas tout seuls (Habicoop), que partout des habitant.e.s s’organisent, des coopératives explorent d’autres rapports au monde.
Nous voulons toucher d’autres personnes qui, comme nous, ne sont pas des spécialistes de l’immobilier mais veulent regagner du terrain : celui de la dignité collective.
On peut, on doit se battre sur plein de sujets différents. C’est important d’y croire.
6 – Le projet associatif est ouvert. En plus de la coopérative, nous avons créé une association qui s’appelle Utop Habitat. Son objet est d’explorer comment les espaces du rez-de-chaussée peuvent servir à d’autres. Ils sont à la disposition des habitant.e.s du quartier, d’artistes et d’activistes en route pour faire advenir un monde meilleur. L’association a aussi comme finalité de continuer à réfléchir à l’essaimage du modèle, à partager des enseignements, des réflexions.
On vous attend avec impatience pour faire vivre la Vitrine, notre petite galerie de trottoir et La Pastèque, le local associatif que nous partageons avec le collectif de journalistes Hors Cadre, dans lequel on peut tester plein de choses. Les portes sont grandes ouvertes.
Allez, venez !